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Voyages en France mais aussi et surtout ailleurs, loin.

La petite maison dans la prairie

C'est dans l'Iowa, le 3 janvier, qu'a débuté la course à la Maison-Blanche. L'occasion, pour l'écrivain et chroniqueur Jeff Danziger, de méditer sur la crise économique, la vie de province et le prix des maisons.

Il y a quelques années, je suis passé en voiture à Osage, une petite ville située dans le sud du comté de Mitchell, un comté de l'Iowa limitrophe du Minnesota. Osage est une commune agricole d'environ 3.000 habitants, mais elle possède aussi une usine qui fabrique une très bonne marque de chaussettes. La plaine s'étend sur des kilomètres à la ronde, comme une mer entourant la ville. Ce qui se remarque le plus, dans ce genre de paysage, c'est le ciel, une immense voûte bleue le jour et, la nuit, un écrin de velours noir sur lequel on peut voir toutes les étoiles de l'Univers.

Osage est un petit enchevêtrement de rues, avec un parc et un cimetière, quelques églises et des écoles. Ce n'est pas une ville qui présente un attrait immédiat, mais ses édifices sont corrects et sans prétention. La plupart des habitants sont blancs, s'expriment sans détours et sont généralement aimables. Ils paraissent parfois un peu déçus que les choses n'aillent pas mieux, mais ils n'ont jamais vraiment pensé que cela pouvait aller mieux. Après tout, on est dans les Grandes Plaines, dans le Midwest, ce qui se résume à d'interminables étendues d'herbe, des autoroutes, des stations-service et du maïs.

Pendant les primaires de l'Iowa, je lisais les journaux locaux sur Internet. Quand l'ennui politique finissait par ternir mon regard, je jetais un coup d'œil sur les annonces immobilières. L'effondrement des prix de l'immobilier est la deuxième grande actualité des Etats-Unis, après la politique. Toutes les annonces d'Osage indiquaient que les prix avaient été récemment revus à la baisse, certains à deux reprises.

Je joins à cet article une photo pour que les lecteurs étrangers puissent se faire une idée du genre d'habitations dont il est question. Cette maison donne sur une rue plutôt agréable d'une ville plutôt agréable. Elle a des écoles, des églises, un poste de police et une caserne de pompiers. Les actes de criminalité sont peu fréquents et sans gravité. La municipalité comme les autorités de l'Etat sont honnêtes, et les impôts peu élevés. La taxe locale perçue sur cette maison se monte à 408 dollars [280 euros] par an.

Malgré la chute des prix engendrée par la crise des subprimes, on ne trouve pas grand-chose sur le littoral américain à moins de 500.000 dollars. Or le prix de cette maison, qui donne sur Mechanic Street à Osage, est passé de 44.000 à 38.000 dollars. Soit un peu plus de 25.000 euros. L'habitation est carrée et ne choque pas le regard. Elle a deux salles de bains, quatre chambres, une cour, un garage, l'air conditionné et le chauffage automatique. Les photos prises à l'intérieur montrent des pièces agréables et indiquent surtout que les propriétaires étaient attachés à leur maison, qui devait être la principale réalisation économique de leur vie.

Le prix de vente comme sa révision à la baisse sont la preuve que personne ne veut vivre là. L'économie américaine a abandonné Mechanic Street. Peut-être les propriétaires sont-ils obligés de vendre à cause de leur âge, de la maladie, ou se sont-ils simplement lassés des hivers du nord de l'Iowa. Peut-être doivent-ils déménager pour des raisons professionnelles. L'usine de chaussettes pourrait être sur le point de fermer.

Mais le lendemain des caucus, tout intérêt pour l'Iowa autre que celui d'être une réserve de gazole et d'édulcorants à base de maïs a disparu. La maison d'Osage a peut-être vu passer un candidat ou deux dans un déferlement de drapeaux et de discours, mais le calme est retombé sur la petite ville pour quatre nouvelles années. Si la situation ne s'améliore pas, le prix risque encore de baisser.

Le message est clair. Pour un prix inférieur à celui d'une voiture, il est possible d'acheter une maison correcte, située dans une ville correcte, isolée et abritée des dangers et des souffrances du reste du monde – un endroit formidable pour élever des enfants si l'on veut qu'ils puissent jouer au base-ball et aller au catéchisme. Et pourtant personne n'en veut.

J'ai réfléchi à ce que ce serait de vivre là. Le matin, on doit s'y lever dans la sécurité et la tranquillité, sans exigences ni intérêts particuliers. Sans hypothèque et, probablement, sans crédit. On doit voir son ambition s'atrophier, voire disparaître. On doit écouter les nouvelles d'ailleurs – guerres, campagnes électorales, menaces et promesses des candidats. Et attendre que quelque chose se produise.

La maison semble esseulée mais, tout au moins à mes yeux, sereine. Quelque chose va arriver, quelqu'un va la découvrir, une famille du Mexique, du Laos, de Pologne. Peut-être une famille fuyant les représailles, des réfugiés irakiens. Pendant quelque temps, des habitants âgés craindront de voir leur ville dénaturée par l'arrivée de gens différents, mais ils finiront par surmonter leur peur. Vingt-cinq mille euros, c'est presque rien, pour une maison, une ville, une vie. Que va-t-il se passer ? Osage attend. Mechanic Street attend. La maison attend.

21/01/08

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