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Voyages en France mais aussi et surtout ailleurs, loin.

Immobilier : deux millions d'Américains menacés de saisie

Pris en tenaille entre la hausse des taux d’intérêt et la baisse des prix des logements, de nombreux ménages ne peuvent plus payer leurs traites. Ils avaient souscrit des prêts hypothécaires à taux variable, avec surprime.

Les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent, dit l’adage. Le marché américain de l’immobilier le confirme. Grâce aux généreuses primes distribuées à Wall Street, les prix des logements pour New-Yorkais aisés continuent d’augmenter allègrement. Mais dans les quartiers pauvres des villes américaines, où vivent de nombreux Noirs et Latinos, la situation est bien moins reluisante.

Les Bourses du monde entier ont récemment vacillé devant la perspective d’une implosion du marché des prêts immobiliers avec surprime (accordés aux personnes peu solvables), qui entraînerait les Etats-Unis dans la récession et freinerait la croissance mondiale. Les institutions spécialisées dans ce type de crédit hypothécaire à haut risque, comme New Century Financial, sont en difficulté en raison du nombre d’emprunteurs qui ne peuvent honorer leurs échéances, alors que les taux d’intérêt montent et que la valeur des logements baisse.

Comme je n’avais jusque-là jamais entendu parler des prêts immobiliers avec surprime, j’ai passé pas mal de temps à étudier la question. Voici ce que j’ai appris. Prenons le cas d’un homme marié avec deux enfants, qui occupe un emploi peu rémunéré, par exemple homme de ménage dans une école. Nous sommes en 2004. Il loue un appartement et observe avec envie le boom de l’immobilier. Il décide que, pour la première fois de sa vie, il va pouvoir gagner de l’argent en devenant lui aussi propriétaire. Il ne va pas voir sa banque parce qu’il a eu du mal à payer ses factures par le passé et qu’il a peur d’être humilié. Alors il se rend chez un courtier en crédits immobiliers qui a obtenu un prêt pour l’un de ses amis. Il explique qu’il a un petit salaire et pratiquement pas d’économies, mais qu’il veut acheter une maison.

“Aucun problème, lui répond le courtier. Votre situation bancaire n’est pas brillante et vos revenus pas très élevés, mais on peut arranger ça. Tout le monde veut un crédit sur trente ans à taux fixe, mais vous préféreriez sans doute de faibles échéances au début. Il vous faut meubler votre logement, le repeindre, aussi ce genre de prêt vous permettra de respirer pendant quelques années. Quant aux revenus, ne vous inquiétez pas : dites-moi simplement que vous touchez un salaire au lieu de m’apporter tout un tas de justificatifs. Il y a des frais, mais on peut les inclure dans le prêt de manière à vous éviter de débourser quelque chose tout de suite. Voici ce que vous aurez à payer chaque mois. C’est pas mal, non ? Signez simplement ici et, oh ! ici aussi, et on fait avancer les choses avec la banque.”

Tout cela paraît inquiétant – et l’est. Notre homme de ménage vient de contracter un prêt immobilier à taux variable, qui finira par lui exploser à la figure. Il paie 7 % d’intérêt les deux premières années, puisque les taux courts sont bas en 2004, mais il se retrouve avec des arriérés de taxe foncière, car, contrairement à l’usage habituel, la banque ne l’a pas prélevée tous les mois. “Aucun problème”, le rassure le courtier quand il retourne le voir l’année suivante pour lui raconter ses malheurs. “Ravi de vous revoir. Vous avez eu raison d’acheter cette maison parce que sa valeur a augmenté. Il suffit de refinancer le prêt pour vous permettre de payer ces factures. Signez ici et, oh ! ici.” (Les ménages empruntant sur la valeur de leur logement, tant que celle-ci augmente, ils peuvent renégocier un prêt plus élevé. Cet argent leur sert à consommer ou à rembourser le prêt précédent.)
Puis, en 2006, les prix de l’immobilier commencent à baisser dans la ville et, vers le milieu de l’année, ses remboursements sont révisés. Le taux d’intérêt grimpe à 10 %, avec en perspective une nouvelle hausse à 12 % : ça y est, son prêt à taux variable a explosé. Notre homme ne peut pas payer et retourne chez le courtier. Mais cette fois, l’accueil est glacial : la valeur de la maison a tellement baissé qu’elle ne permet plus de garantir un nouveau refinancement. Adieu la maison. La structure de titrisation des prêts hypothécaires (qui a divisé le risque de crédit en tranches pour le vendre à différents groupes d’investisseurs) appelle la banque qui a octroyé le prêt et lui demande de prendre possession de la propriété. Notre homme doit libérer son logement, qui est mis aux enchères, ce qui tire un peu plus à la baisse les prix de l’immobilier dans la même rue.

80% des prêts accordés à des noirs sont à taux variable

Cette triste histoire est une parfaite illustration de la nature humaine et de sa cupidité. Le courtier a perçu une commission plus élevée en vendant à notre homme un prêt immobilier à taux variable très risqué au lieu d’un prêt à taux fixe et en lui demandant de certifier lui-même ses revenus (ce qui l’oblige à payer un taux d’intérêt plus élevé). En ne prélevant pas les taxes, la banque a elle aussi aggravé les choses : l’emprunteur ne pouvait plus échapper à une pénalité pour remboursement anticipé de son premier prêt, équivalente à 3 % du montant du crédit.

Tant que les prix de l’immobilier augmentent, le courtier et l’organisme prêteur (et les banques de Wall Street qui ont titrisé les hypothèques) peuvent gagner de l’argent à chaque fois que l’homme de ménage recourt au refinancement. De fait, tous avaient intérêt à ce que son emprunt soit au-dessus de ses moyens et qu’il soit obligé d’en prendre un autre. Mais lorsque le marché immobilier a commencé à baisser, la musique s’est arrêtée.

Certains chiffres font réfléchir. Quelque 52 % des prêts octroyés à des Noirs en 2005 comportaient des risques élevés et 80 % étaient à taux variable. Martin Eakes, président de Self-Help, une caisse populaire de crédit, estime à 2,2 millions le nombre de ménages qui risquent la saisie de leur logement pour cause de défaut de paiement. On assisterait alors à “la pire destruction de richesses des Noirs américains dans l’histoire de ce pays”.
Ceux qui s’engagent de manière inconsidérée sont certes responsables de leurs malheurs. Mais même le plus ardent partisan du caveat emptor (“que l’acheteur soit vigilant”) doit s’émouvoir de ce qui se passe sur le marché américain des prêts hypothécaires.

John Gapper

Financial Times

Article paru dans Courrier international n°856, du 29 mars 2007

 

 

 

 

 

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