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Voyages en France mais aussi et surtout ailleurs, loin.

Cambodge : Astérix au pays des Khmers

Le film Astérix et Obélix : mission Cléopâtre a été récemment projeté dans un festival de cinéma de Phnom Penh. Le journal Cambodge Soir raconte l'histoire du doublage périlleux d'un film français en langue khmère...

"La comédie est bien plus près de la vie réelle que le drame", constatait Bergson* à l'orée du siècle dernier. Il faudrait encore qu'elle échappe à la censure et à une bienséance de bon ton promue par certains puissants de ce monde. En atteste la célèbre comédie française Astérix et Obélix : mission Cléopâtre doublée en khmer et diffusée en plein air la semaine dernière dans le cadre du festival Cinémékong. "Il a fallu satisfaire aux exigences du département du cinéma du ministère de la Culture", relève Sopoi Ann, ingénieur du son et comédien. "Ils ont visionné le film une première fois en français, ensuite nous leur avons soumis la traduction en khmer. Ils nous ont renvoyé cette dernière version corrigée et avec des annotations un peu partout. C'était à se demander si le ‘censeur' avait vu le film, je me demande même s'il comprenait le français. Ses corrections ne voulaient rien dire, on est passé outre sur certaines tellement elles étaient ineptes."
Parmi les règles à respecter, l'emploi d'un langage soutenu, pour ne pas dire ampoulé, est de mise, ainsi que l'utilisation systématique du vouvoiement. "Le résultat, c'est que ça n'a rien à voir avec la vie réelle. Personne ne parle comme ça au quotidien. Sans compter que nous avons dû lisser tous les dialogues, les disputes, enlever les mots jugés vulgaires ou trop familiers… Au final, nous avons davantage joué sur les voix. On a forcé le trait, à la limite de la caricature. Ce qui est aussi l'une des caractéristiques de la comédie khmère", souligne encore Sopoi, qui a réalisé la bande-son du film en un temps record, soit une dizaine de jours, quand il en aurait fallu près d'une trentaine. En cause : un budget serré alloué par l'ambassade, et quelques tracasseries administratives relatives aux autorisations de diffusion en plein air. "On a terminé à 17 heures. Le film a été projeté à 19 heures. Je n'ai même pas eu le temps de le visionner, il manquait beaucoup de bruitages. Techniquement, c'est un mauvais doublage, ce n'est pas professionnel du tout. Mais vous savez, quand j'ai vu que les Cambodgiens ont ri dès le deuxième plan puis sans discontinuer jusqu'à la fin du film, toute mon énergie m'est revenue." Diffusée le 22 mars au Wat Bothum [une pagode située près du palais royal], la comédie a rameuté le chaland. Intrigués par les éclats de rire, les passants jetaient un œil curieux en direction de l'écran, avant de se laisser prendre par le film. Résultat, l'espace aménagé dans l'enceinte de la pagode affichait complet en fin de projection.
Et c'est bien un travail de titan que ce jeune homme a réalisé en à peine deux semaines à l'aide d'un traducteur et de huit comédiens. Il a interprété à lui tout seul pas moins de quinze personnages, coaché les jeunes acteurs issus de la télévision et de la radio publiques, n'hésitant pas à les faire reprendre une réplique cinquante fois pour trouver le ton juste. Autre tâche, et de taille, la nécessaire adaptation des jeux de mots et autres "blagues" à la culture et à la mentalité khmères. Un travail que seul un Khmer parfaitement francophone pouvait réaliser. L'hilarité des Cambodgiens devant les turpitudes d'Astérix et d'Obélix témoigne de la réussite de l'entreprise.

Encore balbutiant, le cinéma khmer de fiction demeure prisonnier du genre fleur bleue ou fantastique, tout comme une grande part de la littérature, renaissante. Et ce au grand dam de Sopoi, qui se plaît à se gausser de ces mièvreries : "C'est insupportable ! Les femmes prennent toutes des voix de petites filles et les hommes un timbre doucereux et efféminé. On a du pain sur la planche. Je rêve du jour où l'on pourra doubler un film tel quel, sans modifications, et montrer en plein air au public khmer ce que c'est que du vrai cinéma."

* Henri Bergson, philosophe français du début du XXe siècle, dans Le Rire.

Mélodie Tissot

Camboge Soir

Paru dans Courrier international du 26/03/07

 

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